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Focus sur le Narrative Design

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Qui dit « jeu » dit « jouabilité », « interactivité » ou encore « amusement ». Le jeu sérieux ajoute aussi les notions d’apprentissage et de transfert de connaissances. L’un des moyens de relier ces deux dimensions passe par la narration. Différente d’un livre, d’un cours ou d’un scénario de cinéma, la narration vidéoludique (ou plus communément, le narrative design) permet de transmettre des informations au joueur et de l’impliquer dans l’expérience. Dans cet article, nous allons nous intéresser à la narration, pour en comprendre l’importance dans le design d’un jeu et le travail qui se cache derrière le design narratif.

La narration, qu’est-ce que c’est ?

Dans sa forme la plus littérale, la narration est la transmission d’un récit. Du théâtre antique au parent qui imagine une histoire pour endormir son enfant, il y a de nombreuses similitudes : la construction d’un récit qui se déroule dans le temps, l’ajout d’émotions, de l’amour, de la peur, du rire. Concrètement, le récit suit généralement un schéma narratif classique : on commence par poser une situation initiale, puis des péripéties sont mises en place par l’auteur ou le conteur pour densifier l’histoire et lui faire prendre un tournant inattendu. Enfin, la situation est résolue dans le dénouement.

Figure 1 Schéma narratif classique. Cr Morgane Lainard, CCCP

Dans un roman, la narration prend généralement la forme d’un narrateur qui raconte une histoire. Mais dans le cas d’un film, la narration est d’abord faite sur un scénario papier qui ne sera jamais montré au public. À l’écran, la narration est rendue par l’image : ce sont les dialogues entre deux personnages, la diffusion d’une musique ou la mise en scène qui vont évoquer des ambiances, des tons ou des émotions et créer ainsi un récit crédible. La narration est aussi une aide formidable pour l’apprentissage, car on retient mieux et de manière plus efficace des notions lorsqu’on les associe à des émotions ou à des souvenirs. Un récit engageant peut donc permettre la transmission d’un message.

Dans le jeu vidéo, on utilise des textes visibles, généralement des dialogues, pour présenter des situations ou insister sur des apprentissages. On peut écouter des personnages discuter entre eux, mais on peut aussi raconter à travers l’image, comme au cinéma, ou grâce aux actions faites par le joueur. La narration n’est pas qu’une affaire de texte : elle est aussi une histoire d’ambiances.

Le design d’une narration efficace

Parce que le jeu vidéo est un médium très visuel, la narration par le texte doit être concise, dynamique et efficace.  Pour la concision, on évitera les blocs de textes conséquents ou les longues histoires, qui méritent dans le jeu vidéo d’être vues ou vécues plutôt que lues. La présence d’un dialogue pour transmettre une information permettra de dynamiser la narration, notamment parce que le passage de la parole d’un personnage à un autre permet de varier le rythme et le style. Cela crée aussi une interactivité minimale avec le joueur, qui peut choisir son temps de lecture. Les cinématiques sont aussi un bon moyen de rendre l’histoire plus dynamique. Enfin, l’efficacité réside dans le rapport entre lecture et jouabilité : privilégier les actions directes du joueur va créer un sentiment d’implication dans l’histoire.

Figure 2 Dans Hollow Knight (TeamCherry, 2017), le joueur peut choisir de simplement s’asseoir auprès d’un comparse pour observer le paysage avant de reprendre son chemin guerrier dans le jeu
Figure 3 Dans Heavy Rain (Quantic Dream, 2010), le joueur incarne un père qui peut effectuer différentes actions pour renforcer les liens avec son fils.
Figure 4 Dans Call of Duty : Advanced Warfare (Activision, 2014), le joueur peut faire un salut militaire respectueux à son camarade Marine tombé au combat pendant la séquence de l’enterrement.

Si c’est le rôle du game designer de créer un jeu cohérent et des séquences de jouabilité engageantes, le narrative designer vient ajouter une plus-value à ce travail. La narration doit accompagner efficacement le jeu sans l’alourdir. Pour cette raison, il faut absolument profiter de l’interactivité pour créer des situations où le joueur est actif : un choix de dialogues qui correspond à son ressenti personnel, une action à effectuer directement dans le jeu au milieu d’un dialogue ou encore des décisions à prendre sur la suite de l’histoire sont autant de façons efficaces de diversifier le récit.

La spécificité principale de la narration en jeu vidéo est la prise en compte de l’interactivité. Tandis qu’un lecteur ou un auditeur est passif, le joueur agit sur le jeu : il peut décider d’explorer un endroit avant un autre, il peut tout réussir du premier coup ou être en difficulté face à un défi, etc. Le chemin du jeu n’est pas linéaire. La narration se construit donc en arborescence, c’est-à-dire avec des choix qui vont influencer une petite ou une grande partie du jeu par la suite. Certains de ces choix sont anecdotiques, tandis que d’autres modifient en profondeur le déroulement de l’histoire.

Le narrative designer va créer ces possibilités pour le joueur, qui aura alors l’impression de co-construire un récit qui ne ressemblera à aucun autre. C’est d’ailleurs ce qui est utilisé comme argument promotionnel pour la sortie de nombreux jeux à grand budget chaque année : l’histoire se déroulera au gré de vos envies. En réalité, une des astuces du narrative designer consiste à créer l’illusion que l’histoire est la plus étendue possible. Grâce à des arborescences fermées ou semi-ouvertes, les choix faits par un joueur sont entrecoupés de péripéties obligatoires qui guident le récit.

Figure 5 Narration en arborescence fermée : le point de départ et la fin sont communs à tous les choix faits par le joueur.
Cr CCCP

Dans le serious game, la narration permet plusieurs possibilités : des mises en situations qui passent par des dialogues et des choix à faire pour le joueur, des points précis abordés dans des textes courts pour rappeler une information importante, ou encore la construction d’une histoire plus dense qui donne un contexte à la formation proposée. Ce dernier point est important, car il différencie le serious game d’un cours ou d’une formation en permettant au joueur de s’impliquer dans un récit.

Aller plus loin : engager le joueur grâce à la narration

La narration est au service de l’efficacité dans la transmission d’informations, mais elle peut aussi être un excellent moyen d’engager le joueur dans l’expérience de jeu. En créant une narration intéressante, on peut apporter de la profondeur au jeu et, particulièrement dans le jeu sérieux, faire oublier l’aspect pédagogique en s’éloignant du format d’un cours ou d’une formation. Plus le joueur s’intéresse au récit qui lui est proposé, plus il est susceptible de continuer à explorer le jeu, et plus il sera performant dans son apprentissage. 

Le but du jeu sérieux peut être d’apporter de l’apprentissage ou de vérifier les connaissances du joueur, tout en ajoutant une dimension à la fois interactive et amusante. Il ne s’agit pas d’un simple quiz mais bien d’une expérience interactive bâtie autour d’un fil rouge. Ce fil rouge est souvent rappelé grâce à la construction d’une histoire cohérente, plus ou moins amusante, en lien avec les besoins du jeu. La narration va aussi donner un ton, soutenir une ambiance : apaisante, rythmée, inquiétante… Les possibilités sont infinies. Choisir un ton permet de conserver une cohésion sur l’ensemble du jeu, qui est souvent entrecoupé de chapitres, de missions et autres changements de décor.

Une narration engageante et pertinente est aussi une narration diversifiée. Nous avons évoqué précédemment les différentes façons de raconter une histoire autrement que dans des dialogues. Mais il faut aussi garder en tête que c’est la diversité qui crée une histoire plus intéressante. Élargir le panel de personnages permet d’avoir plus de possibilités dans le récit. En sortant du cliché du super-héros ou du super-vilain, l’histoire prend de l’ampleur et les joueurs peuvent s’attacher à des personnages dont ils se sentent plus proches.

Figure 6 Quelques personnages créés par les artistes de CCCP pour différents jeux sérieux.

La diversité passe à la fois par le ton des personnages (changements de vocabulaire, histoires personnelles complexes, personnalités différentes) et par une représentation visuelle très diversifiée. Pour amplifier les histoires et représenter la diversité, la narration est une excellente alliée du game design. Le sujet de la diversité est si vaste qu’il mérite un article à lui seul, mais il faut se rappeler constamment son importance dans toutes les étapes de conception d’un jeu.

En conclusion

La narration n’est donc pas qu’une affaire de mots : elle est un soutien au game design. Elle permet à la fois de raconter, de créer un contexte, d’inclure différentes personnalités et différents personnages dans le récit, d’ajouter de l’émotion, pour finalement impliquer le joueur au maximum. On peut transmettre le récit grâce à des dialogues, des cinématiques, ou encore des musiques et des ambiances de jeu. Pour soutenir la jouabilité, la narration ne doit surtout pas assommer le joueur avec trop de textes ou trop d’informations ; c’est pour cette raison qu’il est nécessaire de lui faire prendre des formes les plus variées possibles. Enfin, la narration peut générer de l’engagement chez le joueur, notamment grâce à une variété de personnages, d’histoires, de tons, qui créent une diversité nécessaire et bienvenue.

Pour aller plus loin…

 

A propos de l’autrice

Ambrune est diplômée de l’Université de Montréal avec un Master en jeux vidéo, un DESS en arts numériques et une licence de scénarisation. Elle s’occupe du narrative design sur nos jeux sérieux, nos jeux indépendants et occasionnellement du game design en jeux sérieux. Ses spécialités sont la construction d’univers et l’écriture de dialogues.


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